Doris Martel : Une Française kiné au cœur de la NBA
Doris Martel est une figure singulière dans l’univers du sport de haut niveau. Directrice des thérapies manuelles et de la médecine fonctionnelle des Philadelphia 76ers, elle occupe une position précieuse et rare. Surtout pour une femme. Sa présence dans les coulisses d’un milieu très fermé comme la NBA confirme une chose : le travail paie. PAR RUBEN DIAS. Extrait du WOMEN SPORTS N°34.
Une magicienne. Voilà comment est décrite Doris Martel par beaucoup de joueurs. Directrice des thérapies manuelles et de la médecine fonctionnelle des Philadelphia 76ers, la Française de 43 ans conquiert le monde de la NBA, un an seulement après son arrivée aux USA. Et la jeune femme n’a pas suivi le chemin traditionnel des grandes écoles parisiennes. Née à Thiais, dans le Val-de-Marne, elle a d’abord été gymnaste rythmique, s’inspirant de sa petite soeur, évoluant avec grâce sur les poutres de sa ville natale.
Après l’obtention de son bac L, avide d’expériences éclectiques, Doris se lance dans la danse contemporaine et africaine. Puis elle s’envole outre-Atlantique.
Doris l’exploratrice
Remontons presque 20 ans en arrière. Alors attachée de presse chez Universal Jazz, Doris côtoie de nombreux artistes internationaux. Une immersion qui l’incite a apprendre l’anglais et à perfectionner ses compétences. « Je m’envole pour un voyage de seulement 9 mois à la base, mais après avoir rencontré l’homme qui deviendra mon mari, je ne suis jamais rentrée », sourit-elle.
Pendant cette période, les petits boulots s’enchaînent : baby-sitting, cours de français et de danse… « je cherchais ma voie », ex- plique la jeune femme. S’imprégnant d’une culture « où l’on te vend que tout est possible si tu travailles dur ! »
Des rencontres qui changent une vie
C’est lors d’une rencontre « fascinante » avec un chaman, « qui soigne mon mal de genou par des manipulations et du massage » que l’ancienne gymnaste découvre le monde « des thérapies alternatives. Une expérience bouleversante qui me pousse à explorer et apprendre ces techniques », se souvient-elle. Au début sans but bien précis, juste avec « l’espoir de pouvoir aider des personnes en souffrance. »
Quelques années plus tard, c’est une autre rencontre qui va une nouvelle fois faire bas- culer sa vie. « Je faisais un stage avec le kiné et masseur des Los Angeles Lakers, Marko Yrjovuori. De fil en aiguille, je me retrouve dans son camp d’été avec des basketteurs et autres sportifs pros. »
Les joueurs sont impressionnés par son approche et demandent à leur franchise d’embaucher la petite Française. « Je ne connaissais pas grand-chose au basketball, mais j’étais passionnée par le corps humain », raconte-t-elle. Ces recommandations la conduisent d’abord à de courtes missions ponctuelles, avant un contrat à temps plein chez les Clippers, puis chez les Sixers.
Tant que nous sommes dans les rencontres, son arrivée en équipe de France est aussi une belle illustration d’opportunités inattendues se présentant à Doris. « En 2019 je travaillais déjà pour les Sixers. Joel Embiid me présente à Boris Diaw, Jacky Commères et Jean-Pierre Siutat. La conversation a mené à une proposition d’intégrer le staff de l’équipe de France pour la Coupe du Monde en Chine. » Après une longue hésitation, elle accepte.
Une fée dans un monde de géants
Les joueurs, les staffs, tout le monde apprécie sa façon de travailler. La thérapie manuelle, discipline que Doris maîtrise à la perfection, vise à manipuler les tissus mous : muscles, fascias, tendons, ligaments, viscères, pour prévenir les blessures et soigner les douleurs. Une approche holistique, incluant la gestion de la nutrition, du sommeil, des émotions, du yoga et de la méditation, révolutionne le suivi des athlètes. « Je suis aussi là pour améliorer leurs performances. » Ses méthodes ont fait des Clippers l’une des franchises les moins touchées par les blessures à l’époque.
I have a dream
Et non, les doigts de fée ne suffisent pas pour réussir. Mais le secret de son American Dream, Doris le décrit ainsi : « un mélange de naïveté, d’envie d’apprendre et d’humilité. Je me souviens un jour d’avoir pensé, que moi, petite femme noire étrangère, je pourrais me faire une place dans ce milieu. C’est cette naïveté qui m’a permis de saisir toutes ces opportunités. »
Tout n’est pas toujours tout rose dans le milieu de la balle orange. « Mon patron de l’époque m’avait avertie : j’allais travailler dans un environnement difficile, qu’il surnommait ‘ground zero’. Je devrais m’attendre à tout, y compris des blagues douteuses. » Doris Martel a pu s’appuyer sur son ouverture d’esprit et « la culture française. Avec ma mentalité, je n’ai ni peur de l’inconnu, ni de l’adversité. Je me suis immédiatement adaptée à ce monde d’hommes. »
Rester humble, garder les pieds sur le par- quet et respecter les « gens et les processus autour de moi », c’est la combinaison qui a permis à la Française de réussir en NBA. Un environnement pourtant impitoyable. « Cela prend plus de temps pour convaincre les gens et pour avancer. En tant que femme on ne peut pas être trop directe ou “avoir les dents qui rayent le parquet”. Il faut travailler avec humilité en faisant attention de ne pas froisser l’ego des hommes qui vous entourent. »
Les JO pour continuer d’inspirer
Présente l’été dernier aux JO avec l’équipe de France de basket masculine, Doris Martel ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. « Je veux continuer à apprendre et à m’épanouir. » Avec son podcast et sa classe en ligne en français (@dorismartel), la thérapeute veut partager son expertise. « J’espère pouvoir continuer à inspirer et à former la nouvelle génération de professionnels de la santé. Tout en restant fidèle à ma passion pour le corps humain et la santé. »